27 septembre 2006

Jonathan Little : Les bienveillantes


Jonathan Littell : Les Bienveillantes - Gallimard 2006

J'en ai eu assez des contreverses et j'ai décidé de voir par moi-même; j'ai donc entammé la lecture de ce livre sur lequel on dit tout et n'importe quoi. En règle général c'est un assez bon signe de déclancher autant de discussions. D'accord le sujet s'y prête, se mettre à l'intérieur de la peau d'un monstre SS pendant la seconde guerre mondiale est un sujet casse-gueule, décrire avec des mots extrêmement crédibles ce que peut ressentir un homme qui va au bout de l'horreur laisse toujours planer un doute sur l'écrivain. La faute à la littérature française si nombriliste, ou à l'intérieur de chaque texte, l'écrivain est censé laisser poindre une partie de sa personalité, voir se sert de son rééel pour en faire une oeuvre littéraire. Mais on ne peut pas accuser Littell de cela, il n'a jamais vécu cette période, cela n'en devient que plus facile encore, des voix osent dire que si il n'était pas là, il ne peut pas témoigner. Quelle erreur messieurs les censeurs ! Arrêtons vite ses faux procès d'intention; les bienveillantes est un livre monstre, une de ces oeuvres qui nous remuent les trippes, intelligement, il commence sur un chapitre où l'homme que l'on sait être un monstre explique comment on le devient, sans s'en rendre compte, sans le savoir, puis comment on y échappe en prenant de la distance, par n'importe quelle manière, parce que c'est tellement inhumain que l'esprit trouve une échappatoire pour ne pas de venir fou. Il nous prend surtout à partie en nous défiant de prouver que mis dans une situation identique la majorité d'entre nous aurrait fait la même chose, sans gaitée de coeur, sans envie, simplement pour survivre à la place de ceux qui meurent, parce que la vie est toujours la plus forte, la notre à la place de l'autre, de tous les autres. Tous les jours on nous le montre dans tous les films d'action, dans les actualités on glorifie ceux qui s'en sont sortis quelque soit le nombres de cadavres qu'ils ont laissés derrière eux, c'était des méchants après tout, donc pas trop grave. Mais bien sûr quand c'est un de ses méchants qui raconte on est gené aux entournures, l'esprit humain est ainsi fait que la gloire va toujours aux vainqueurs, jamais au perdants. Même si les vainqueurs ont commis des attrocités, on a une forte tendance à l'oublier. Paradoxalement le livre de Littell est un livre profondément humain, il nous plonge dans l'horreur absolu, pas d'un coup, mais petit à petit, comment faire pour pervertir l'homme, comment faire pour se protéger de la folie. On sait aujourd'hui que la majorité des bourreaux de la seconde guerre mondiale n'étaient pas des monstres inhumains, juste des hommes, certains se sont sucidés, d'autre ont sombrés dans l'alcool et la folie pour se protéger. Mais surtout un système utilisé par tout les pouvoirs absolus avait été mis en place et on faisait extrêmement attention à ce que les responsabilités soient tellement dilluées afin que personne ne prennent l'intégralité des actes commis pour lui. Attention, il ne s'agit en aucun cas d'une justification, juste de chercher à comprendre comment cela est possible. Je ne cesse pendant cette lecture de me demander ce que j'aurais fait à la place du "héros", et j'ai peur de devoir répondre que je n'aurais surrement pas été ni mieux, ni pire. On peut toujours se drapper dans une vertue et une dignité et se dire que jamais on aurait accepté tout cela. Notre ego nous glisse à l'oreille que l'on est supérieur au reste de l'humanité, qu'on vaut mieux que ça. C'est justement ce que l'on disait à ces hommes, vous ne tuez que des sous-hommes, ils ne sont pas comme nous, nous avons Dieu à nos côtés, vous êtes la race des sauveurs, ce que vous faites est juste. En face d'eux se trouve l'armée rouge et en toile de fond Staline aussi inhumain que Hitler, utilisant les même ficelles...
Ce livre est fort, il fait mal, il nous parle de cette partie de notre esprit que nous voulons caché, de celui qui nous fait peur. On frémit, on tremble. C'est fort.

4 commentaires:

Blogger Nicolas a dit...

Je crois que ce livre est encore autre chose que les impressions didactiques / morales que tu ressens ("à sa place je n'aurais pas été mieux" etc ). L'auteur aime la précision. Il décrit souvent - comme certains poètes - le sens et le goût des choses, des faits, des origines. Le bien n'existe que par rapport au mal."les bienveillantes " nous le rappelle. Au stade de ma lecture ( je suis à la page 400 ), je découvre une mise en mots, et presque une mise en bouche, de la mort. Il y a du cannibalisme dans ses phrases, et aussi des démonstrations sur la composition du fil ténu entre proies et prédateurs.La guerre comme une chaîne alimentaire, où chaque homme développe sa condition de bête. Peut être que Little cherche à se confronter à ces momments de mise au pied du mur. Il juge peut être insuffisantes ses vadrouilles humanitaires pour éprouver sa condition d'individu.Rencontrer des force psychiques que sans la guerre on ne peut connaître, presque "possèder l'univers" grâce à elle comme nous l'explique Jünger dans ses livres ambigüs. Little présente différentes ethnies et les lie. Je vois aussi chez lui, un Proust qui nous fait goûter à une madeleine saignante, qui apaiserait à sa manière l'angoisse du décompte des jours de chacuns. La guerre ne sert qu'à compter les morts. Le temps nous voit gesticuler, et lors de notre passage on peut s'attacher à décrire ce qui nous anime.

10/11/06 22:23  
Blogger Marc a dit...

Je viens seulement de commencer ce livre. Après seulement une centaine de page, j'ai éprouvé un tel malaise que j'ai eu besoin de faire une pause pour aller chercher sur le web une vraie chronique qui me permette de comprendre ce livre AVANT de le lire. La raison de ce sentiment ? Je l'ai trouvée dans vos propos. Little nous renvoit à nous même et à cette obsédante question : comment aurais pu faire pour échapper à un tel système totalitaire ?Ce système qui est conçu et organisé tout à la fois pour amener chacun à commettre une parcelle de l'inqualifiable et de l'irréparable mais aussi pour faire en sorte que jamais le but final, l'écrasement d'un clan, d'une tribu, d'une race, d'une religion soit poursuivi sans relâche jusqu'à labsurde et l'horreur absolus.

Cette question, Little l'amène presque en douceur au début de son livre. Et comment même imaginer qu'il n'était pas lui même un de ces officiers SS ?

Je continue donc car la violence infinie de l'interpellation de Little m'oblige à aller jusqu'au bout de cette interrogation comme on va au bout d'une quête.

2/4/07 18:26  
Anonymous Anonyme a dit...

Pur ceux qui se posent un peu (trop) de questions au sujet de cet excellent livre,je lesinvite d'abord a relire "le roi des aulnes" de Michel Tournier.Ne serait ce que pour éviter de se lancer dans des commentaires particulierement verbeux sur cet ouvrage

6/5/07 12:43  
Anonymous Anonyme a dit...

Ce livre est un devoir de mémoire sur ce qui aujourd'hui est assez méconnu dans l'histoire de la Shoah, à savoir l'extermination par fusillade de centaines de milliers de personnes. Ce qui me frappe c'est la justesse des situations, la précision des propos qui nous font regarder l'horreur de près.
Ce livre est difficle à lire, il me rappelle , dans un registre différent, mais vécu celui là de l'intérieur, "le soldat oublié", oeuvre de Dimitri, un simple soldat qui a vécu la guerre à l'Est de l'intérieur avec les mêmes interrogations sur la survie dans un monde en guerre et la folie humaine.

15/3/08 16:16  

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