06 août 2006

la lente mort des librairies suisses

Ce blog est publique donc je vais rester dans les limites de la politesse et de la bienséance. Pourtant l'envie de hurler mon desespoir me pousserait à éructer des insultes à l'encontre de responsables politiques et des "professionnels"...
Je vais esseyer de vous faire comprendre comment en Suisse on a programmé la mort des librairies indépendantes au nom d'un libéralisme économique dépassé politiquement depuis longtemps.
Il fut un temps où de nombreuses librairies existaient sur notre territoire, elles étaient montées rapidement, avec peu de moyens en règle générale par des passionnés qui ne cherchait pas à gagner de l'argent, mais plutôt à partager une passion de la lecture. Ce semi-amateurisme a créé de petites structures qui avaient chacune une spécificité, des choix plus ou moins clairs. Seule les librairies plus ou moins sérieuses dans leur gestion survivaient, parfois en faisant des concessions, mais nous avions un choix en tant que clientèle assez faramineux.
La crise économique est arrivée et ces micros-structures ont eu beaucoup de peine, les plus fragiles ont disparu; c'est la vie nous disait-on. Les maisons d'éditions françaises et les réseaux de distribution se sont regoupés sous la banière de grand groupes financiers, pour lesquels le commerce du livre n'est qu'une goutte dans leurs bilans annuels, mais une goutte bien intéressante car culturelle; quand on vend des armes ou quand on licencie à tour de bras dans des secteurs industriels, cela fait toujours du bien de redorer son blason en mettant en avant le travail exeptionnel fait par la branche éditorial du groupe et les découvertes de nouveaux talents littéraire... La vitrine est magnifique, regardez l'apport culturel de ma société et oubliez tout le reste de mes activités.
Après avoir possédé le producteur ( l'éditeur ), dans la logique économique il faut acquérir le distributeur, celui qui commercialise les titres. Ainsi fut fait. Mais zut, on a oublié qu'il reste encore ces détestables libraires qui se permettent de refuser nos titres best-sellerisés au nom d'une étique et d'une moralité d'un autre âge. Acquérons donc une chaine de librairie ainsi nous posséderons l'ensemble de la chaîne du livre et nous pourrons ainsi vendre l'ensemble de notre production et nous toucherons l'ensemble des bénéfices.
Prenons l'exemple en Suisse romande des librairies Payot : Vieille société familiale lausannoise à la base, rachetée d'abord par Edipresse (éditeur de grands journeaux romands ) qui chercha un appui auprès du groupe Hachette, qui s'intéressait à un réseau de points de vente couvrant toute la Suisse francophone après avoir fait tomber dans son escarcelle deux gros diffuseurs en Suisse romande. Ainsi Payot s'est transformé en Super Chaîne du livre en moins de dix ans. A sa tête on avait mis un transfuge de FNAC France, afin d'en faire une copie en Suisse. Manque de chance, FNAC s'est interessé au marché romand à son tour. Alors ainsi a commencé la politique des prix d'appels dont voici le concept trompeur. Mettez en avant les titres dont tout le monde parle, baissez leurs prix durant deux mois afin d'attirer la clientèle, nous parlons là d'environ 5 % des titres au grand maximum, et vogue la galère... Mais qu'est-ce qui empêche les petites librairies de faire de même allez-vous me dire ? C'est simple et compliqué à la fois; je vais esseyer d'être clair et concis cela s'appelle la marge.
Le libraire qui vous vend un livre doit l'acheter à un meilleur prix que celui auxquel il vous le vend, afin de payer son loyer, ses employés etc...
Cette marge, négociée entre des distributeurs et le libraire est au minimum de 33% du prix de vente, elle dépend à la fois de votre volume d'achat (plus on achète, plus grande est la marge) et de votre taux de retours (les nouveaux livres ont la possibilité d'être retourné chez le distributeur si ils ne se sont pas vendus; plus on retourne plus la marge baisse)
Donc, un petit libraire, avec un petit volume d'achat a une petite marge, sur celle-ci, le bénéfice net est dans le meilleur des cas d'environ 2 % du chiffre d'affaire, pas de quoi faire fortune !
Mais les grosses société vu leurs grands volumes de commandes ont des marges qui tournent autour de 48 % !
Maintenant faite le compte : si je baisse mon prix de 20 % dans une petite librairie il me reste 13 % pour vivre, dans un grand groupe 28 %. En réalité si je baisse le prix en petite librairie je perds de l'argent, dans un grand groupe j'en gagne ! CQFD
Pour contrer cela, l'idée est de faire comme l'ensemble des pays européens et de faire voter une loi sur le prix unique. C'est à dire empêcher des baisses sur le prix du livre de plus de 5 %. C'est ce qui se passe en France avec la loi Lang par exemple.
Vous allez me dire que c'est injuste pour le consomateur, que les livres sont trop chers, c'est vrai pour la Suisse où les prix sont fixés par les distrubuteurs selon un savant calcul qui fait que en comparaison du taux de change de l'euro nous payons notre livre entre 10 et 20% plus cher qu'en France. Ce qui revient à dire qu'en commandant nos ouvrages sur le net et malgré les frais de ports, nous seront gagnants. C'est vrai.
Mais pourquoi le petit libraire ne commande-t-il pas ses livres directement en France afin de les payer moins cher ? Il ne le peut pas. Les contrats de distribution sont ainsi fait que les distrubuteurs en Suisse ont l'exclusivité de la vente pour le territoire helvétique, donc en passant sa commande en France, le petit libraire ne sera jamais servi et on l'obligera à s'adresser aux distributeurs suisses.
La loi sur le prix unique est en discussion depuis longtemps, à la suite d'un rapport commandé en 2000 à l'office fédérale de la culture et qui démontrait clairement l'intérêt d'un prix unique du livre en Suisse, la commission sur la concurence (COMCO) a quand à elle décidé que cette proposition de loi allait à l'encontre des lois sur les cartels. C'est à dire qu'il y aurait un entente sur le prix entre les différents protagonistes du marchés ! C'est une abération, vu que cette entente ne serait pas du au faît de sociétés commerciales, mais encadrée par une loi... Et, que je sache, les différents pays européens ont aussi une loi contre les cartels et une loi sur le prix unique du livre qui n'entre pas en contradiction l'une avec l'autre. La Suisse serait-elle juridiquement plus avancée que l'ensemble de l'Europe et aurait ainsi mis le doigt sur un vide juridique ? Bêtise...
Non l'erreur fondamentale est qu'en Suisse on a esseyé de faire passer cette loi sous le domaine économique alors qu'il fallait le faire sous le domaine culturel. C'est ce qui fut tenté depuis 2005, mais manque de chance, l'office de la culture en Suisse dépand du département de l'intérieur et n'a pas de vrai ministre, c'est comme si Sarkosy était ministre de la culture en France !
Mais ne rions pas, nous avons en Suisse notre ami Couchepin, et par le malheur, il se trouve que ce charmant ministre était en charge de l'économie quand ce dossier fut rejeté aux oubliettes et qu'il est actuellement à l'intérieur alors que celui-ci revient. Inutile de dire qu'il l'a rejeté avec la même désinvolture en se permettant au passage de préciser qu'il le connaissait bien...
Le prix unique ne sauvera pas le livre en Suisse à lui tout seul, mais il permettra une réorganisation du marché, il donnera un sursis à la fermeture endémique des petits point de vente. (150 librairies il y a dix ans, à peine 60 aujourd'hui). Il faudra ensuite se pencher sur le prix réel du livre afin de réclamer un ajustement au niveau de vie suisse qui a baissé. Mais celà est une autre histoire. Pourtant le débat est en train d'être lancé en France aux niveaux des proffessionnels sur le thème le livre est-il trop cher ?
Voilà où nous en sommes actuellement, dans un jungle libérale où les gros mangent les petits, où le choix devient de plus en plus restreint ( ne mettons en avant que les livres "rentables" ). Voyez ce qui c'est passé sur le marché du CD, connaissez-vous encore beaucoup de disquaires indépendants ? Et du DVD ? Existe-t-il encore des revendeurs hors des grands groupes ? Si c'est ce que l'on veut, ne faisons rien, ne disons rien.
Si par contre vous voullez que quelque chose se passe faite la chose suivante, allez acheter vos livres chez les petits libraires, malgré le prix plus haut, et puis il n'y a pas de honte si votre porte-monnaie a des difficultés d'acheter en seconde mains.
Consomateurs levez-vous, c'est vous qui avez le pouvoir de décision final !

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